Résumé : La France, comme nombre d'autres pays en Europe et ailleurs, fait face à une crise de recrutement des enseignants, posant plus globalement la question de l'attractivité du métier, c'est-à-dire de son image et de son statut dans la société. Au défi fonctionnel consistant à mobiliser suffisamment de candidats pour pourvoir à l'ensemble des postes s'est ajouté celui consistant à comprendre les raisons et les conditions du choix, du non-choix ou de la démission de l'enseignement. Un tel enjeu implique préalablement de caractériser l'ampleur et la spécificité de la crise actuelle, donc de la contextualiser et de différencier suffisamment (selon les académies, les disciplines, les concours, les statuts, etc.) afin de préciser et de nuancer le diagnostic souvent trop partiel ou trop global, conduisant à évoquer la « pénurie d'enseignants » ou « la fin des vocations ». Il s'agit ensuite d'accéder à une compréhension fine des représentations du métier et des logiques individuelles et sociales des candidats potentiels qui s'y destinent ou écartent cette hypothèse. C'est l'ambition de ce travail dont les résultats s'appuient sur une série de focus groupes complétés par quelques entretiens auprès d'une diversité de profils enquêtés (près de soixante-dix personnes au total) : étudiants de licence, de master enseignement, enseignants néo-titulaires, démissionnaires ou récemment reconvertis. Cet « espace des points de vue » permet de dégager des similitudes et des spécificités selon l'expérience et le statut des enquêtés mais aussi les ambivalences et les paradoxes qui se dégagent à propos de ce métier, loin de la caricature des « profs » et des « fonctionnaires ». L'enquête montre, en effet, que l'orientation vers l'enseignement correspond à un choix déterminé, porté par la valeur et le sens des missions mais que l'activité au quotidien se heurte à un ensemble de contraintes et d'empêchements, que ce soit la gestion de classe, la multiplication des tâches ou la relation avec les parents. Ces difficultés et l'usure physique et mentale qu'elles sécrètent, coexistent selon les enquêtés avec un statut déclinant et une perte de reconnaissance attestée par le niveau de salaire ou le manque de soutien de l'institution. Ces éléments combinés sèment le doute quant à l'intérêt de devenir enseignant, avec en outre la perspective d'un concours en fin de master 1, une formation jugée inadaptée et une première affectation géographiquement contrainte. Le « coût d'entrée » dans la profession apparaît dès lors trop élevé au regard d'alternatives de carrière perçues comme plus prometteuses, dans le secteur privé notamment. Une vision que les personnes en reconversion vers l'enseignement, de plus en plus nombreuses, obligent à nuancer alors que les démissionnaires pourront au contraire la justifier. Au fond, l'étude montre la complexité de ce que sous-tend l'idée d'attractivité s'agissant d'un métier de plus en plus exigeant mais de moins en moins valorisant. En conclusion, les réflexions et propositions des enquêtés pour une politique d'attractivité renforcée montrent un souci partagé de reconnaissance de la valeur de ce métier, comme des enseignants qui le choisissent, suivant une nécessaire diversification des modalités et critères permettant d'y accéder. [résumé auteur]