Les mères seules précaires, catégorie (é)mouvante des politiques sociales

Anne Eydoux[1]

Introduction

Les mères vivant seules avec leur.s enfant.s, en raison de leur part croissante dans l’ensemble des familles et de la surexposition de leur foyer à la précarité et à la pauvreté, sont dans nombre de pays européens et depuis longtemps des cibles des politiques sociales. Ces politiques mobilisent (et souvent construisent) pour les appréhender des catégories problématiques, comme par exemple en France[2] celles de « famille monoparentale » ou de « parent isolé », qui tendent à masquer à la fois le genre (principalement féminin) des parents en question[3] et l’hétérogénéité des familles : le rôle réel ou symbolique d’un autre parent auprès des enfants, la présence ou l’absence de soutiens familiaux, mais aussi la grande diversité de situations socio-économiques[4]. Ces catégories sont ainsi révélatrices d’une difficulté à penser ces familles autrement que par le manque d’un parent (généralement le père) et l’isolement de l’autre (la mère). Loin d’être perçues comme porteuses d’une subversion du patriarcat, les mères seules apparaissent surtout comme amoindries et vulnérables, en marge de la norme du couple parental.

La construction des catégories désignant les mères seules précaires (ou leur ménage incluant les enfants) est liée à la fois à la perception d’un problème social, celui de la croissance du nombre des femmes élevant seules des enfants dans la précarité ou la pauvreté, et à la mise en place de politiques sociales et/ou de l’emploi ayant vocation à le résoudre, en faisant sortir ces femmes et leurs enfants de la pauvreté (ou plutôt de l’extrême pauvreté).

La production de ces catégories se fait principalement à l’échelle nationale, celle de la définition des prestations sociales mais elle est également influencée, surtout depuis la deuxième moitié des années 1990, par des orientations supra-nationales (celles de l’OCDE et des institutions européennes) portant sur les politiques de l’emploi et les politiques sociales. Ces catégories sont ainsi traversées, à l’échelle nationale comme européenne ou internationale, par les transformations des conceptions des rôles sociaux de sexes et des objectifs des politiques publiques. Par exemple, en France et au Royaume-Uni, des allocations dédiées aux parents isolés ont été conçues en référence à un modèle « maternaliste » d’assignation des mères aux tâches parentales, avec pour objectif de permettre aux mères seules de se consacrer à l’éducation de leurs enfants sans avoir à faire face à l’urgence de trouver un emploi. Mais dans les années 1990, les politiques dites « d’activation »[5], ont cherché à ramener les chômeurs et les allocataires de minima sociaux à l’emploi en faisant des prestations sociales un vecteur d’autonomie et de sortie de la pauvreté, en particulier pour les femmes. Elles ont dans certains pays fait de la catégorie des parents isolés une catégorie emblématique de cette activation.

Les mères seules précaires sont ainsi une cible mouvante des politiques sociales : si elles sont presque toujours perçues comme une catégorie vulnérable, exposée à la précarité et à la pauvreté, il existe différentes conceptions de leur citoyenneté sociale, allant d’une citoyenneté spécialisée dans l’éducation des enfants à une citoyenneté active, dans et par l’emploi (Betzeld et al., 2011). Signe de l’effacement de la réprobation morale dont les mères célibataires (les « filles-mères » en France) faisaient autrefois l’objet, cette catégorie est aussi devenue une cible émouvante, volontiers mise en avant par des personnalités politiques en quête de légitimité. En plein mouvement des gilets jaunes, sachant les mères seules présentes sur les ronds-points, le Président Macron les a érigées en figures de la pauvreté laborieuse méritante, les qualifiant de « femmes de courage » dans son discours du 10 décembre 2018[6].

Ce chapitre explorera la genèse et les transformations de la catégorisation des mères seules précaires dans les politiques sociales en France, en établissant une comparaison avec quelques autres pays d’Europe qui ont comme la France mis en place une allocation dédiée à ces mères. Il prêtera attention aux arguments et aux concepts de cette catégorisation, mais aussi aux facteurs de ses évolutions (changements des formes familiales, rôle des associations féministes ou familiales, rôle de hauts fonctionnaires nationaux ou d’institutions supra-nationales, etc.), et enfin aux échelles où elles prennent place (niveau national ou supra-national). On montrera pour commencer que les mères seules précaires ont été d’abord appréhendées non pas en tant que telles, mais sous l’angle d’une catégorie familiale atypique et vulnérable. On se penchera ensuite sur la catégorie des parents isolés par laquelle ces mères sont devenues, en France et dans d’autres pays européens, une cible de politiques maternalistes qui leur apportaient une aide sociale les dispensant temporairement de l’obligation de chercher un emploi. On examinera enfin la manière dont les politiques d’activation (ou de retour à l’emploi) promues à différentes échelles (internationale, européenne, nationale) ont travaillé la catégorie des mères isolées avant d’interroger, dans une perspective de genre, ce qu’ont produit ces évolutions.

I. Les familles monoparentales, catégorie de la marginalité

Un détour par la genèse de la catégorie « famille monoparentale » en France permet de comprendre comment les mères qui vivent seules avec leurs enfants ont été saisies par une catégorie désignant une forme familiale alternative à la famille traditionnelle centrée sur le couple parental. La désignation par un même terme de la « veuve éplorée », figure de la « dignité féminine », et des « filles-mères », figures de maternité déviante[7], a marqué en France au milieu des années 1970, la reconnaissance d’une variante de forme familiale (Lefaucheur, 1985). Toutefois, les mères seules sont devenues une catégorie de l’action publique non pas comme cheffes de familles atypiques, pionnières d’un renouvellement des formes familiales, mais comme familles marginales et vulnérables.

Nathalie Martin-Papineau (2003) a analysé cette émergence de la monoparentalité comme problème politique et comme catégorie vulnérable de l’action publique. Selon elle, l’évolution des familles monoparentales[8] a constitué dans les années 1970 un « fait social » traduisant « un mouvement de désinstitutionnalisation de la famille et la promotion d’un modèle familial alternatif » (Martin-Papineau, 2003 : 8). Pour l’auteure, trois changements dans les représentations des familles ont permis aux familles monoparentales de trouver leur place à côté du modèle prédominant de la famille constituée autour d’un couple parental : un recentrage sur l’enfant (plutôt que sur le couple parental), une remise en question du mariage comme fondement de la famille, et la diversification des modèles familiaux. Ces changements n’ont selon elle pas effacé les clivages idéologiques opposant une vision conservatrice de la famille à une autre, plus ouverte à ses transformations.

Selon Nathalie Martin-Papineau (2003), les mouvements féministes, en analysant les rapports de sexes comme des rapports de pouvoir, ont non seulement contribué à publiciser et à politiser la sphère domestique jusqu’alors considérée comme relevant du domaine privé, mais aussi à conférer une dimension émancipatrice et subversive à la monoparentalité, en la pensant comme une possible affirmation de la liberté (y compris sexuelle) des femmes.

Pourtant, l’appréhension de la catégorie des familles monoparentales par les politiques publiques ne s’est pas faite « dans la perspective d’une libération de la femme, mais dans celle d’une problématique d’aide aux familles économiquement vulnérables » (Martin-Papineau, 2003 : 11), une perspective plus conforme à l’idéologie dominante et plus susceptible de susciter l’adhésion. Si la société civile, les associations féministes et les associations familiales ont contribué à faire de la monoparentalité (ou des femmes « cheffes de famille ») une affaire publique, la construction de la catégorie a surtout été selon l’auteure le fait de la « bureaucratie » (on dirait aujourd’hui la technocratie) du Commissariat général du plan et de hauts fonctionnaires – notamment Bertrand Fragonard. C’est sous leur impulsion que les familles monoparentales ont été inscrites dans les travaux sur la pauvreté – plus précisément en 1975, lors de la préparation du VIIe plan (1976-1980). À l’époque, le constat était celui du développement de nouvelles formes de précarité familiale et de pauvreté. La hausse des naissances hors mariage, des séparations et des divorces avait conduit à une augmentation du nombre de foyers d’un parent (presque toujours une mère) élevant seul.e son ou ses enfants, mais aussi à un changement dans le mode de constitution de ces foyers. Alors qu’après-guerre ces parents étaient surtout des veufs (et plutôt des veuves), les parents célibataires, séparés ou divorcés étaient de plus en plus nombreux.

En dépit de ces changements, ces parents (et les mères seules en particulier) n’ont pas été reconnus comme une catégorie de parents seuls en tant que tels, mais appréhendés comme des familles monoparentales, à savoir des familles à la marge de la famille traditionnelle, identifiées comme vulnérables. C’est cette perspective sur ces familles qui a préfiguré la catégorie de « parents isolés » qui allait donner son nom à un minimum social et faire des mères seules précaire la figure des mères « isolées » et « assistées ». Si cette catégorie des mères isolées a été à l’œuvre également dans la construction des politiques sociales en direction des mères seules au Royaume-Uni (Eydoux, Letablier, 2009) d’autres catégories étaient pensables, comme celle de la mère seule « émancipée », à même de faire vivre son foyer de manière autonome par son activité dans l’ex-République démocratique allemande (Garcia, 2013).

II. Les mères isolées, catégorie maternaliste de l’aide sociale

En France, la catégorie des « mères isolées », figures de la monoparentalité vulnérable, s’est incarnée dans la catégorie juridique de l’allocation de parent isolé (API) créée par la loi n° 76-617 du 9 juillet 1976 « portant diverses mesures de protection sociale de la famille ». À l’époque, les politiques sociales et familiales répondaient à une logique maternaliste de soutien au modèle familial traditionnel du père en emploi et de la mère au foyer. Cette loi, portée notamment par Bertrand Fragonard[9], entendait lutter contre la pauvreté à laquelle étaient exposés nombre de parents (essentiellement des mères) élevant seul.es leur.s enfant.s en soutenant leur revenu et sans les contraindre à travailler immédiatement. L’allocation a pris deux formes : l’API « longue », de la grossesse aux trois ans du dernier enfant, concernait surtout des mères célibataires précaires n’ayant pas vécu en couple ; l’API « courte », d’une durée d’un an, concernait surtout des mères inactives vivant seules avec leurs enfants de trois ans et plus après une rupture familiale (séparation, divorce ou veuvage).

Cette allocation, d’une durée limitée, n’était initialement assortie d’aucune exigence d’insertion professionnelle. Elle se présentait comme une garantie de revenu familiale, différentielle[10], proche du niveau d’un Smic mensuel à temps complet[11], censée laisser aux mères vivant seules avec leus enfants le temps nécessaire pour continuer à s’en occuper jusqu’à l’âge de la scolarité et pour entreprendre leurs démarches d’insertion (ou de réinsertion) professionnelle. À une époque où retrouver un emploi après une interruption d’activité n’était pas vraiment problématique, le législateur ne craignait pas de décourager ces mères de travailler (au sens d’occuper un emploi) – comme le soulignait Fragonard (in Helfter, 2010) : « on admet [à l’époque] le fait que la mère puisse ne pas être immédiatement poussée au travail ».

Le législateur redoutait plutôt que l’allocation n’en vienne à fragiliser le modèle familial traditionnel, celui dans lequel l’homme est le principal apporteur de revenu du foyer (male-breadwinner). Il s’agissait donc d’éviter que le dispositif n’exerce une mauvaise « influence sur les mœurs » en laissant penser aux pères que l’aide sociale pouvait les exonérer de leurs responsabilités, les dispenser de reconnaître leurs enfants et de s’acquitter du versement des pensions alimentaires. Le principe retenu a donc été celui de la subsidiarité : le dispositif ne devait pas se substituer aux solidarités familiales (Fragonard in Helfter, 2010 ; Eydoux, 2012). Il s’agissait donc bien de chercher à préserver le modèle familial traditionnel en adaptant le dispositif à la situation des mères seules sans emploi et ne pouvant compter sur le salaire d’un conjoint pour élever leurs enfants. Ce rôle d’apporteur de revenu du foyer était d’ailleurs conçu comme étant celui du père (ayant le devoir de contribuer par la pension alimentaire) mais aussi celui d’un éventuel nouveau conjoint ou concubin – la remise en couple avec un partenaire capable de subvenir aux besoins du foyer mettant fin au versement de la prestation.

Le dispositif ne devait ni pousser trop rapidement les mères seules vers l’emploi, ni se substituer aux solidarités familiales. C’était bien un dispositif maternaliste (Eydoux et Letablier, 2009), destiné à soutenir pendant un temps déterminé la présence de la femme au foyer pour s’occuper des jeunes enfants. L’API était d’ailleurs conçue sur le modèle de l’allocation de salaire unique (ASU) versée aux couples ayant au moins un enfant de moins de trois ans lorsque l’un des parents (la mère en général) restait au foyer pour s’en occuper[12]. La logique était donc aussi celle d’un « salaire maternel » reconnaissant et valorisant le travail de la mère au foyer pour une durée limitée dans le temps.

Lors de la conception de l’API, l’accent était mis sur les risques familiaux : défection du père ne jouant plus son rôle d’apporteur de revenu, mais aussi non-déclaration de remise en couple de la mère. Cela n’a pas été sans effet sur la catégorie des parents isolés. Pour les Caisses d’allocations familiales (CAF) en charge du versement de l’API et de son articulation avec les créances alimentaires, la mise en œuvre de l’allocation a été source de difficultés de gestion, et est allée de pair avec un contrôle des allocataires, qui pouvaient perdre leur droit en cas de remise en couple (ou d’indices d’une telle remise en couple). L’API a donc été une prestation relativement stigmatisante en pratique pour les mères qui en bénéficiaient. Elle leur conférait certes un statut social de mère (Eydoux et Letablier, 2009), mais aussi un soutien plus fragile et plus négativement connoté que celui procuré par l’allocation de salaire unique qui complétait les revenus d’activité des pères (réputés méritants) de jeunes enfants dont l’épouse était au foyer.

Si la protection sociale des mères seules n’est pas passée partout par un minimum social dédié, d’autres pays que la France ont mis en place des prestations ciblées pour permettre à ces mères de s’occuper de leurs enfants sans avoir à rechercher un emploi. Les durées de ces allocations pouvaient d’ailleurs être plus longues que celles de l’API française. En Norvège, par exemple, pays dont le régime social-démocrate de protection sociale offrait un niveau relativement élevé de prestations sociales universelles, une allocation dédiée a été créée pour les mères seules dès 1957, assortie d’une aide au recouvrement des pensions alimentaires (Trifiletti, 2007). Cette allocation, dite « transitionnelle », leur permettait de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants de moins de dix ans, tout en se préparant (en principe) à l’emploi (Mogstad et Pronzato, 2008). Au Royaume-Uni, pays au système de protection sociale libéral, minimaliste et ciblé, une allocation dédiée a été mise en place en 1975 : les mères seules pouvaient bénéficier de l’Income Support pour s’occuper de leurs enfants jusqu’à leurs 16 ans, dans un contexte où les modes d’accueil publics étaient encore rares (Trifiletti, 2007).

Des dispositifs destinés aux mères isolées se sont donc mis en place dans les années 1950-1970, avec des modalités différentes selon les pays (des montants plus élevés en Norvège et en France qu’au Royaume-Uni) et pour des durées variables (relativement courtes en France, longues en Norvège et surtout au Royaume-Uni). Quant aux pères, ils ont été rappelés à leur responsabilité de subvenir financièrement aux besoins des enfants. Dans tous les cas, les politiques sociales ont conforté les unes et les autres dans leurs rôles traditionnels : mères dispensatrices de soins et pères pourvoyeurs de revenus. Au Royaume-Uni, les gouvernements conservateurs se sont montrés particulièrement soucieux de faire respecter les obligations alimentaires des pères : au début des années 1990, après le relèvement des fourchettes encadrant le montant des pensions alimentaires, la Child Support Agency (agence de soutien aux enfants) a été créée pour contrôler leur versement et, si nécessaire, pour les collecter – mais elle a été confrontée à l’insuffisance fréquente des ressources des pères (Delautre, 2008).

Appréhendées dans plusieurs pays d’Europe comme des catégories légitimes d’une aide sociale destinée à leur permettre de se consacrer quelques années à l’éducation de leurs enfants, les mères seules précaires sont devenues à partir de la fin des années 1990 une catégorie des politiques d’activation.

III. Les mères seules, catégorie précaire de l’activation

L’idée selon laquelle il est préférable d’inciter les mères seules à reprendre un emploi plutôt que de renforcer le soutien à leur revenu prend racine dans la stratégie d’activation (Zajdela, 2009) défendue dès 1994 par l’OCDE et à partir de 1997 par les institutions européennes (dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi) et le Royaume-Uni (« troisième voie »).

L’austérité qui s’installait sur les politiques sociales n’étant que peu propice à une revalorisation des indemnités de chômage ou des minima sociaux, une rhétorique consistant à rendre la « générosité » des allocations responsable du chômage ou de la pauvreté persistante s’est peu à peu imposée. L’idée selon laquelle les allocations décourageaient l’emploi (ou « piégeaient » dans le chômage ou la pauvreté) a justifié leur absence de revalorisation et leur transformation en instruments de retour à l’emploi. Cette idée a sous-tendu une approche renouvelée de la lutte contre la pauvreté privilégiant des dispositifs de retour à l’emploi plutôt que de garantie de revenu. Une approche faisant de l’emploi le meilleur remède à la pauvreté – à un moment où l’ampleur de la pauvreté laborieuse ne pouvait pourtant être ignorée – a été portée par les institutions européennes et reprise (ou parfois anticipée) par un certain nombre d’États membres. Elle a fondé une stratégie d’activation néolibérale (présentée comme « préventive ») misant sur des dispositifs d’incitation à adopter un comportement de recherche d’emploi plus que sur des mesures (dites « curatives ») de soutien au revenu. Cette stratégie, qui a concerné d’abord les chômeurs avant de s’étendre aux allocataires de minima sociaux, « mères isolées » comprises, ne s’est que peu accompagnée de programmes de création d’emploi.

La statégie d’activation a initié une « grande transformation » des politiques sociales à destination des mères seules précaires (Eydoux, 2010), en en faisant une catégorie emblématique, mais aussi paradoxale, de l’activation. Catégorie emblématique, parce que le nouvel objectif de favoriser le retour rapide à l’emploi de ces mères s’inscrivait (plus ou moins) en rupture avec le maternalisme qui avait prévalu dans certains pays d’Europe, où l’épreuve de l’activation pouvait se présenter comme un passage vers plus d’émancipation et d’égalité entre femmes et hommes face à l’emploi. Mais catégorie paradoxale de l’activation, car dans plusieurs pays d’Europe, les mères seules étaient en réalité actives avant d’être activées : elles étaient plus souvent actives et en emploi (mais aussi plus souvent au chômage) que les mères en couple – c’était notamment le cas en France pendant toutes les années 1990[13].

L’activation des mères seules a pris des formes différentes dans l’Union européenne. D’abord, parce que ces mères étaient plus ou moins identifiées comme des catégories vulnérables des politiques sociales ou des politiques de l’emploi. Ensuite, parce que les réalités des États membres étaient diverses : les familles monoparentales y représentaient une part plus ou moins élevée de l’ensemble des familles, les mères seules ne participaient pas de la même manière à l’emploi et n’étaient pas exposées au même risque de pauvreté. Si presque partout ces mères étaient surexposées au chômage et à la pauvreté, elles avaient été dans des pays comme la France doublement pionnières, dans leur manière de faire famille et dans leur rapport à l’emploi.

Dans les pays d’Europe où les mères seules ne bénéficiaient pas d’une allocation dédiée (de « parent isolé »), elles ont été enrôlées dans des programmes d’activation au même titre que les autres publics de l’insertion, ou que les autres mères. Dans les pays où existait une telle allocation, l’activation de ces mères (« isolées ») s’est faite de manière souvent moins pressante que pour les autres allocataires de minima sociaux, mais s’est finalement traduite par une forme de normalisation de l’action publique à leur égard et par une relative dilution de la catégorie des parents isolés dans l’ensemble des allocataires de minima sociaux (ou des bénéficiaires de crédits d’impôts).

En France, l’activation des mères isolées s’est mise en place graduellement, avec une continuité que n’a pas altérée l’alternance politique. Dès le début des années 1990, les mères pauvres élevant seules des enfants de plus de trois ans, en tant qu’allocataires du revenu minimum d’insertion (RMI)[14], étaient incitées par un intéressement à reprendre un emploi et pouvaient selon les cas bénéficier d’un contrat d’insertion. À partir de 1998, le mécanisme d’intéressement du RMI s’est étendu à l’API, permettant aux mères d’enfants de moins de trois ans (ou à celles qui venaient de se séparer, de divorcer, ou de perdre leur conjoint) de combiner une partie de leur allocation avec un petit revenu d’activité pendant une période limitée (de trois à douze mois). En 2002, un impôt négatif, la prime pour l’emploi (PPE), a cherché à rendre l’emploi plus attractif pour les travailleur.e.s à bas salaire, dont faisaient souvent partie les mères seules précaires. L’intéressement de l’API a été renforcé en 2006, puis en 2008 dans le cadre des expérimentations du revenu de solidarité́ active (RSA). La généralisation du RSA, qui a remplacé en 2009 l’API et le RMI, a constitué une étape supplémentaire dans la normalisation du traitement des mères isolées. Cette séquence de renforcement des dispositifs d’incitation est révélatrice de la diffusion d’une conception néolibérale de l’activation, qui a fait des mères seules un public à part entière des politiques d’insertion, tout en leur réservant un traitement à part. Les mères seules d’enfants de moins de trois ans et celles ayant vécu une rupture familiale ont en effet continué à bénéficier d’un RSA « majoré », afin de conserver l’avantage que leur procurait l’API par rapport au RSA. Elles ont aussi été l’objet d’un accompagnement social dédié, souvent pris en charge par les travailleur.ses sociaux des Caisses d’allocation familiales, plus enclin.es à tenir compte de leurs contraintes familiales, alors que les autres allocataires du RSA relevaient généralement des conseils départementaux et d’une logique de « droits et devoirs » assortie de sanctions. Aujourd’hui, l’allocation de parent isolé a disparu, mais la catégorie persiste dans les politiques d’insertion pour désigner les mères seules allocataires du RSA majoré, qui continuent à faire l’objet d’un accompagnement à part.

Au Royaume-Uni, pays souvent cité comme un modèle d’activation des mères seules en Europe, la mise en place à partir de 1997 de l’activation des parents isolés a combiné un dispositif incitatif néolibéral à un développement des services publics et à un renforcement du soutien au revenu (Delautre, 2008). Un crédit d’impôt visait à rendre l’emploi plus attractif dans les ménages actifs et incluait une prise en charge des frais de garde des enfants. Le déploiement à partir de 1998 d’un plan de développement des modes d’accueil des jeunes enfants (National Childcare Strategy – stratégie nationale d’accueil des enfants) devait assurer une offre plus étendue et accessible financièrement. Un programme dédié d’accompagnement vers l’emploi, le New Deal for Lone Parents (NDLP, nouveau départ pour les parents isolés), devait aider les mères isolées à retrouver un emploi. Si l’accompagnement était obligatoire, la participation de ces mères à des mesures de formation ou d’emploi ne l’était pas. La conditionnalité du dispositif était donc moindre pour les mères seules (comme d’ailleurs pour celles en couple) que pour les autres publics. Toutefois, elle s’est renforcée au fil du temps, notamment par la baisse de la limite d’âge des enfants, passant de 16 ans à 12 ans en 2008. À partir de 2013, il y a eu comme en France une fusion des prestations : l’Universal Credit a remplacé six minima sociaux (ou crédits d’impôts) pour les personnes d’âge actifs, accentuant la normalisation du traitement des mères isolées, notamment en abaissant la limite d’âge des enfants à 5 ans et en renforçant les contrôles. Cependant, l’aide est restée inconditionnelle pour ceux ayant des enfants de moins d’un an, et a été conditionnée qu’à des rendez-vous réguliers pour ceux ayant des enfants d’un à cinq ans (Dwyer et Wright, 2014).

En Norvège, seule parmi les pays du nord de l’Europe à avoir mis en place une allocation de parent isolé, une normalisation a également été à l’œuvre : l’allocation transitionnelle a été réformée en 1998 afin d’en restreindre l’accès et d’encourager le retour à l’emploi des mères allocataires. La durée de l’allocation a été réduite à trois ans (comme en France), son usage réservé aux parents d’enfants de moins de huit ans et soumis, pour les parents d’enfants de plus de trois ans, à des conditions d’activité (formation, emploi au moins à mi-temps ou recherche active d’emploi). L’allocation a par ailleurs été assortie de subventions à l’accueil des jeunes enfants dans une structure collective afin d’en faciliter l’accès aux parents isolés. Enfin, elle a été complétée à partir de 2003, dans le cadre d’un plan d’action pour combattre la pauvreté, par un programme d’activation ciblé, reposant là encore sur le volontariat des parents isolés (Mogstad et Pronzato, 2008).

IV. L’introuvable politique d’émancipation des mères seules

Vingt ans après le début du déploiement des politiques d’activation des allocataires de minima sociaux en Europe, la catégorie des parents isolées a perdu en visibilité sans que les mères seules ne soient devenues une catégorie de politiques d’émancipation. L’activation des mères seules, loin d’avoir assuré leur autonomie, les a exposées à la précarité sans les sortir de la pauvreté.

En France, la situation des mères seules au regard de l’emploi s’est même dégradée comparativement à celle des mères en couple dont le taux d’emploi a fortement augmenté à partir des années 1990[15] si bien que leur taux de pauvreté n’a pas reculé[16] (Acs et al., 2015). Le même constat vaut pour d’autres pays d’Europe. Comparant les politiques d’activation des mères seules mises en place à partir de la fin des années 1990 en France et au Royaume-Uni (deux pays ayant eu des allocations dédiées) ainsi qu’en Allemagne et en Suède (pays n’ayant pas d’allocations dédiées), Karen Jaerhling, Thorsten Kalina et Leila Mesaros (2015) ont constaté que les mères seules avaient « à l’évidence perdu leur rôle pionnier sur le marché du travail comparativement aux mères en couple », particulièrement en France et en Allemagne. Les politiques d’activation n’ont donc pu venir à bout de leurs difficultés spécifiques sur le marché du travail.

Au Royaume-Uni, le taux de pauvreté des mères isolées a diminué, mais c’est surtout grâce à la revalorisation de leur allocation car les résultats de l’activation en termes de retour à l’emploi ont été décevants, les mères isolées ayant continué à avoir du mal à trouver un emploi dont les horaires s’accordent à leurs responsabilités familiales et à accéder à un mode d’accueil pour leurs enfants (Delautre, 2008). De la même manière, en Norvège, si les réformes de l’allocation de transition ont significativement augmenté le revenu des mères isolées et permis de diminuer leur taux de pauvreté (Mogstad et Pronzato, 2008), le programme d’activation ciblé n’a pas eu d’impact significatif sur leur insertion (Rønsen et Skarðhamar, 2009).

De manière générale, l’insertion des mères seules enrôlées dans les programmes d’activation est apparue précaire, menant à des emplois peu qualifiés, dévalorisés, de courte durée et/ou à temps partiel, ou se heurtant à l’insuffisance des emplois. Peu de mères seules ont pu bénéficier de dispositifs intégrés d’insertion leur permettant à la fois d’obtenir un emploi ou une formation, et d’accéder à un mode d’accueil pour leurs enfants[17]. Lorsque de tels dispositifs existent, la qualité de l’emploi comme l’égalité entre les sexes demeurent souvent des impensés. En raison de leurs contraintes familiales et de leurs caractéristiques socioéconomiques (dans nombre de pays européens, elles sont plus jeunes, moins éduquées et moins qualifiées que les mères en couple), les mères isolées ont dû s’insérer dans des marchés du travail ségrégés limitant leurs perspectives d’accès à des emplois qualifiés, bien rémunérés[18]. L’activation a ainsi fait peser sur ces mères particulièrement contraintes une injonction à chercher un emploi, sans garantir leur accès ni aux modes d’accueil ni à des formations ou à des emplois permettant de lever leurs contraintes.

On peut dire aujourd’hui que les mères seules précaires sont devenues une catégorie problématique de l’activation en Europe. Dans leur introduction à l’ouvrage collectif de 2018, Rense Nieuwenhuis et Laurie Maldonado ont mis en évidence la « triple contrainte » à laquelle elles sont exposées en Europe : des ressources insuffisantes, un emploi inadéquat et des politiques publiques inadaptées. Alors que les familles constituées d’un couple parental biactif sont devenues la norme, les foyers monoparentaux comptent sur un.e seul.e (ou principal.e) apporteur.se de revenu. Si la plupart des ménages de classe populaire ou de classe moyenne considèrent avoir besoin de deux revenus pour assurer leur bien-être (ou leur subsistance), les mères seules doivent compter principalement (et parfois uniquement) sur leurs ressources propres. Ces mères sont aussi très souvent les principales, sinon les seules, pourvoyeuses de soin du foyer – en fonction de l’implication de l’autre parent dans l’éducation des enfants. C’est donc à elles qu’il revient de se débrouiller pour assumer cette double responsabilité d’apporteuses de revenu et de pourvoyeuses de soin. Une responsabilité qui peut s’avérer d’autant plus difficile à endosser qu’elles sont surexposées à la précarité de l’emploi et à la pauvreté.

Conclusion

En France et dans quelques autres pays d’Europe, les mères seules précaires ont été peu à peu appréhendées comme une catégorie familiale à part entière (faisant sortir les mères célibataires de la réprobation morale) mais aussi comme une catégorie à part. Dans des pays où l’attachement au modèle de la mère au foyer (et du père en emploi) était fort, les mères seules précaires ont été perçues comme une catégorie vulnérable, celle des « mères isolées » qu’il fallait soutenir dans leur rôle maternel, à savoir auprès de leurs enfants plutôt qu’en emploi. Si des mouvements féministes ont pu contribuer à la reconnaissance des familles monoparentales comme familles, et parfois comme familles pionnières, les politiques sociales les ont identifiées plutôt comme catégorie familiale à la marge et à protéger. Elles ont ainsi été destinataires dans plusieurs pays d’une aide sociale dédiée (allocation de « mère isolée » ou de « parent isolé ») inscrite dans des politiques maternalistes.

La diffusion à l’échelle européenne d’une stratégie d’activation a contrarié cette approche maternaliste, impulsant des changements dans la perception des causes de la pauvreté des familles monoparentales. Le retour à l’emploi étant désormais perçu comme le meilleur antidote à la pauvreté, les mères seules ont peu à peu intégré une catégorie (et souvent encore une catégorie à part) de l’insertion. Ce changement a d’ailleurs dans certains cas été paradoxal puisqu’il est intervenu dans un contexte où les mères seules étaient souvent actives (et parfois davantage que les mères en couple).

La stratégie d’activation mise en œuvre dans les États membres de l’Union européenne a contribué à tourner la page des politiques sociales maternaliste à l’égard des mères seules. Mais elle n’a pas pour autant permis aux mères seules d’accéder plus facilement à l’emploi ni de sortir de la pauvreté. Cette stratégie qui cherchait avant tout à encourager un comportement de recherche active d’emploi n’a pas été conçue comme une stratégie émancipatrice pour les mères seules. Après des années d’activation, elles sont aujourd’hui aussi une catégorie de la pauvreté laborieuse (Lanseman, 2019). On pourrait dire qu’en cherchant à les inciter à accepter un emploi à tout prix, la stratégie d’activation a (pour paraphraser Nancy Fraser, 2010), sacrifié « le rêve d’émancipation des femmes […] sur l’autel du capitalisme ». De fait, les mères seules sont restées en Europe surexposées à la précarité, au chômage et à la pauvreté. En France, l’activation qui a pris place dans un contexte de stagnation des bas salaires et des minima sociaux (Eydoux, 2014) a précarisé les familles monoparentales. La crise sanitaire a récemment mis en évidence la dégradation de leurs conditions de logement et leurs mauvaises conditions de confinement (Crepin et Bugeja-Bloch, 2021). Aujourd’hui, ces familles expriment de fortes attentes de soutien public, sous forme notamment de revalorisation des prestations sociales et du salaire minimum (Pirus, 2021).

La persistance de la surexposition des mères seules à la précarité et à la pauvreté traduit l’échec des politiques d’activation à se muer en politiques libératrices : en transformant la catégorie des « mères isolées » protégées par des politiques sociales maternalistes en catégorie de mères actives ou activées, elles ne sont pas parvenues à en faire une catégorie de mères émancipées. Comme l’ont rappelé deux ouvrages collectifs récents (Bernardi et Mortelmans, eds. 2018 ; Nieuwenhuis et Maldonado, 2018), les politiques d’activation n’ont pu garantir aux mères seules l’accès à un mode d’accueil pour leurs enfants et à un emploi assurant leur indépendance économique et leur bien-être. À une époque où les ménages à deux apporteurs de revenus devenaient la nouvelle norme et le nouvel étalon du bien-être, les mères seules, même en emploi, n’ont pu atteindre ce standard. Selon Marie-Thérèse Letablier et Karin Wall (2018), les familles monoparentales continuent à représenter un double défi aux politiques sociales : parce qu’elles troublent les normes familiales et parce qu’elles restent surexposées à la pauvreté. Si elles sont de moins en moins une catégorie familiale en butte à la réprobation morale, elles demeurent en Europe une catégorie de la marginalité et de la vulnérabilité, à la fois reconnue pour ses difficultés et stigmatisée car très représentée dans la précarité et la pauvreté. On peut comprendre qu’en France nombre d’entre elles se soient reconnues dans ou aient pris part à la mobilisation des gilets jaunes contre les fins de mois difficiles et pour plus de justice économique et sociale.

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  1. Anne Eydoux est maîtresse de conférences en économie au CNAM et membre du LISE (CNRS-CNAM) et du CEET.
  2. On trouve l’équivalent du terme famille monoparentale dans plusieurs pays européens et dans plusieurs langues : single-parent family (ou one-parent family) en Anglais, familia monoparental en Espagnol, Einelternfamilie ou Alleinerziehende en Allemand, etc. Le terme parent isolé correspondant à une allocation dédiée est moins répandu mais on le trouve en Anglais, lone parent ayant donné son nom à des prestations sociales spécifiques.
  3. Comme l’énonçait Geneviève Fraisse (2008) : « Mieux vaut dire ‘famille monoparentale’ que ‘mère célibataire’, mais avec la conséquence, inéluctable, qu’on perd de vue la proportion, massive, de femmes concernées. C’est comme un tour de passe-passe où le catégoriel stigmatise et où le général masque le problème ».
  4. Voir par exemple la critique de Gérard Neyrand (2001) qui reproche au terme « familles monoparentales » non seulement de cacher le sexe du parent mais aussi de nier « la réalité de l’autre parent » alors que la séparation n’annule pas « les liens de filiation ». Quant au terme de « parent isolé » désignant une « catégorie du public de l’action sociale », il a selon lui un caractère réducteur et « misérabiliste » : ces parents apparaissent comme « pauvres, précaires et souffrant d’un déficit d’intégration », au mépris du rôle joué par leur entourage. Voir aussi dans le même esprit la critique d’Oriane Lanseman (2019).
  5. Ce terme désigne en français comme en anglais un ensemble de mesures de retour à l’emploi des demandeurs d’emploi et des allocataires de minima sociaux : dispositifs d’intéressement à l’activité, emplois aidés, formations, accompagnement vers l’emploi, etc.
  6. Selon lui : « Ce fut d’abord la colère contre une taxe (…) mais cette colère est plus profonde, je la ressens comme juste à bien des égards. Elle peut être notre chance. C’est celle du couple de salariés qui ne finit pas le mois et se lève chaque jour tôt et revient tard pour aller travailler loin. C’est celle de la mère de famille célibataire, veuve ou divorcée, qui ne vit même plus, qui n’a pas les moyens de faire garder les enfants et d’améliorer ses fins de mois et n’a plus d’espoir. Je les ai vues, ces femmes de courage pour la première fois disant cette détresse sur tant de ronds-points ! (…) ». Adresse du Président de la République Emmanuel Macron à la Nation, 10 décembre 2018.
  7. Comme le montre Antoine Rivière (2015) à partir d’un travail sur les dossiers d’abandon de l’Assistance publique de Paris sous la troisième république.
  8. D’après les données du recensement de l’Insee reprises par Nathalie Martin-Papineau, le nombre de ces familles a augmenté entre 1968 et 1975, et surtout entre 1975 et 1982. On recensait ainsi 757 740 « mères sans conjoint » en 1982 contre 574 840 en 1968 ; dans le même intervalle de temps, le nombre de « pères sans conjoint » diminuait un peu, passant de 144 860 à 129 300. Mais pour Nathalie Martin-Papineau, ce sont aussi les caractéristiques socio-démographiques de ces familles qui ont changé : des cheffes de familles monoparentales plus fréquemment célibataires ou divorcées, appartenant de plus en plus souvent aux catégories « personnels de service » et « employé.es » mais aussi représentées parmi les « cadres moyens », une diffusion de la monoparentalité parmi les jeunes et une monoparentalité plus souvent « choisie ».
  9. Directeur de cabinet du Secrétaire d’Etat à l’action sociale René Lenoir et directeur adjoint du cabinet de la ministre de la santé Simone Veil, Bertrand Fragonard a été qualifié de « père de l’API » (Martin-Papineau, 2003).
  10. Lors de la création de l’API, le versement était égal à la différence entre le montant garanti (900 francs + 300 francs par enfant) et les revenus du ménage (revenus d’activité et prestations familiales).
  11. Au 1er juillet 1976, le Smic était de 1 487 francs (Perrot, 1978).
  12. Créée en 1941, l’ASU a été, comme le rappelle Jacqueline Martin (1998), une « pièce maîtresse » de la politique familiale française de soutien au modèle familial de la mère au foyer (et du père en emploi) après la Seconde Guerre mondiale, et ce jusqu’à sa suppression en 1978.
  13. En France métropolitaine en 1990, 84 % des mères seules étaient actives (contre 66 % des mères en couple) et 68 % étaient en emploi (contre 59 % des mères en couple). Tandis que les taux d’activités des mères seules et en couple se rapprochaient, le taux d’emploi des mères seules est devenu inférieur à celui des mères en couple au tournant des années 2000, avec un net creusement de l’écart lié à la surexposition des mères seules au chômage (Acs et al., 2015). En 2017, le taux d’activité des mères seules était passé un peu en dessous de celui des mères en couple (78 % contre 80 %) tandis que leur taux d’emploi était très largement distancé par celui des mères en couple (64 % contre 73 %) (Insee, 2017).
  14. Les mères de famille monoparentale constituaient environ le quart des allocataires du RMI à l’époque.
  15. Voir supra note de bas de page n° 13.
  16. En 2014, 39 % des mères seules étaient pauvres (contre 21 % des pères seuls et 11 % des couples) (Insee, 2017).
  17. En France, les (rares) crèches d’insertion (ou crèches à vocation d’insertion professionnelle, Aip), qui assurent à la fois l’accompagnement vers l’emploi de mères seules au RSA et l’accueil de leurs enfants, sont des exemples de tels dispositifs (voir Bucolo et al., 2018).
  18. Dans une étude menée lors des expérimentations du RSA, Cyprien Avenel (2009) a montré que les mères isolée allocataires du RSA qui retrouvaient un emploi étaient très concentrées dans des emplois précaires et à temps partiel, souvent dans les collectivités territoriales (agentes de service ou d’entretien), dans les services directs aux particuliers (salariées à domicile, femmes de chambre) ou dans le commerce (caissières).


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